« Pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? »
Cette question de l’ange aux disciples le jour de l’Ascension peut nous être posée lors de toute tentation mystique. Pourquoi tourner nos regard vers les nuées ? Pourquoi lever les yeux vers un au-delà fantasmatique ? Nous le savons bien, lorsque nous nous tournons vers le ciel, la ligne d’horizon est souvent une ligne de fuite. Nous regardons au ciel pour fuir le monde. Tentation de dire une espérance qui n’est pas de ce monde :
« Là où nous fuyons devant nous-mêmes, comme nous fuyons devant le monde, c’est là et seulement là que Dieu nous attend : partout. Et partout, il nous devance. Même et surtout en ce monde – un monde qu’il aime tant qu’il nous a fait don de son Fils unique. Car il n’y a, pour nous, pas d’autre monde où nous puissions vivre par la foi ».
GABRIEL VAHANIAN
Le ciel n’est pas un lieu de fuite possible. Nous n’avons que cette terre, « pas d’autre monde » pour vivre, et pour vivre par la foi, pour vivre avec Christ et avec Dieu. Donc l’Evangile n’est pas le programme d’un au-delà qui viendrait après ce monde. Mais bien le programme d’un autre monde possible, ici et maintenant, avec Christ et avec Dieu. Le Christ a bel et bien prêché le royaume, non comme un autre lieu, mais comme un cheminement au coeur de ce monde, un chemin à prendre ensemble avec ta soeur, avec ton frère. Ce chemin, le sillon de Caulmont en dessine un contour :
Laisse chacune, chacun, exprimer sa foi ou ses doutes, sa recherche ou sa sensibilité, dans un climat fraternel, tout en sachant dire le cœur de ton espérance. Plus que de convaincre, il s’agit pour toi de cheminer avec ta sœur, avec ton frère
sillon de caulmont
« En marche, les humiliés du souffle ! Oui, le royaume des ciels est à eux ! En marche, les endeuillés ! Oui, ils seront réconfortés ! En marche, les humbles ! Oui, ils hériteront la terre ! »
evangile selon matthieu, chap.5
Le ciel n’est pas un lieu de fuite possible.
Alors, encore une fois, nous n’avons que cette terre, pour cheminer avec nos soeurs et nos frères, pour suivre la route d’une espérance qui est de ce monde. La foi est une mise en marche, un tâtonnement parfois à la suite de l’espérance qu’a tracé le Christ Jésus en venant vivre dans le monde. Cette espérance se nourrit des Béatitudes telles que Chouraqui les traduisait dans sa version de l’évangile selon Matthieu :
Oui, en marche ! En marche non vers le ciel, non pour faire la course et entrer dans une foi concurrentielle ou pour mieux dire concours-en-ciel. Ne pas avoir besoin d’écraser les autres, ne pas vouloir être le premier, ne pas s’obliger à vouloir gagner des mérites pour être bien placé. Bien plus le cheminement qui s’ouvre au terme de l’évangile est un chemin en fraternité, avec les unes et les autres, pour tisser une espérance d’aujourd’hui. Une espérance qui grandit en se partageant. Car l’espérance n’est pas un trésor réservé, mais une porte ouverte aux humiliés, aux endeuillés, aux humbles. Cette marche fraternelle est signe d’unité. Le Père Teilhard de Chardin écrivait un mot resté célèbre :
« Par nature tout ce qui est foi monte, et tout ce qui monte converge inévitablement »
teilhard de chardin, l’avenir de l’homme
La marche de l’espérance, après l’Ascension est signe de convergence, de rencontre, d’unité, d’œcuménisme donc !
« Pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? »
Lors de l’ascension, le Christ ressuscité se sépare de ses disciples, il est enlevé au ciel, il est soustrait à leur regard par une nuée, « à la droite de Dieu » dit la tradition de l’Eglise. Malgré la représentation qui prête à sourire du psautier d’Aliénor d’Aquitaine (XIIème siècle), ils ne voient même plus ses pieds… Quarante jours après la résurrection ; le crucifié a pris le temps d’un nouvel enseignement, durant quarante jours, quarante comme le surgissement d’une nouvelle génération, pour faire naître les apôtres à l’Evangile de vie.
A la fin de toutes choses, le Christ s’élève vers le ciel, il s’en va. Une élévation qui rejoint dans la tradition biblique celle du grand prophète Elie qui a été élevé au ciel en laissant son manteau à Elisée. Le Christ s’élève et il laisse aux apôtres le manteau d’une espérance nouvelle : Il a vaincu la mort ! La vie est plus forte que la mort ! Alors oui le Christ quitte se monde. Le pasteur Ch. Wagner écrivait dans l’Ami :
Si l’homme de foi est plongé dans la nuit, assailli par la tourmente, la boussole l’empêche de se désorienter. Il n’admet pas que la cause soit jugée et reste sans appel. Sous le coup même qui l’assomme et semble péremptoire, il dit : « je maintiendrai !» Au fond, la foi c’est l’audace poussée jusqu’à l’infini : « notre foi, c’est la victoire qui a vaincu le monde » (Jean 5,4)
CHARLES WAGNER, L’AMI, 1917
A la fin de toutes choses, l’Ascension confirme la victoire de la bonne nouvelle. La bonne nouvelle nous invite, non pas à regarder vers le ciel, mais à suivre le chemin du royaume, marche d’unité, renouvelé-e-s dans l’espérance et joyeux-se. Oui joyeux-se, déjà au Vème siècle, Saint Léon le Grand (390-461) écrivait dans un de ses sermons pour l’Ascension :
« Aussi les bienheureux Aprotes et tous les disciples que la mort de la croix avait apeurés et qui doutaient de la foi en la résurrection furent-ils raffermis par l’évidence de la vérité ; si bien que lorsque le Seigneur partit vers les hauteurs des cieux, ils ne furent affectés d’aucune tristesse, mais comblés d’une grande joie »
St Léon le grand, sermon n°29
Alors, pour ce jour de l’Ascension et ceux qui suivront, que la joie de Dieu berce vos vies. Christ est vainqueur. C’est vrai.
Benoit