Lectures bibliques :
Genèse 50 : 15-21 / Romains 14 : 7-9 / Matthieu 18 : 21-35
En ce temps-là, Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander : « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? » Jésus lui répondit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à 70 fois sept fois. Ainsi, en va-t-il du Royaume des cieux comme d’un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. Pour commencer, on lui amena quelqu’un qui devait dix mille talents. Comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser, le maître ordonna de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, en remboursement de sa dette. Alors, tombant à ses pieds, le serviteur demeurait prosterné et disait : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout.” Saisi de compassion, le maître de ce serviteur le laissa partir et lui remit sa dette.
Mais, en sortant, ce serviteur trouva un de ses compagnons qui lui devait cent pièces d’argent. Il se jeta sur lui pour l’étrangler, en disant : “Rembourse ta dette !” Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai.” Mais l’autre refusa et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé ce qu’il devait. Ses compagnons, voyant cela, furent profondément attristés et allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé. Alors celui-ci le fit appeler et lui dit : “Serviteur mauvais ! je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié. Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?” Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait. C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. »
evangile selon matthieu, chap. 18, v. 21 à 35
Prédication :
« le débiteur impitoyable », dette, colère, prison, torture, etc… Pardon, Hope d’avoir retenu ce texte pour ce jour d’accueil, pour ce jour de joie. Pardon frères et soeurs d’avoir suivi cette liste des textes du jour alors que nous pourrions nous réjouir avec quelques alléluia et quelques textes ô combien plus heureux que nous pouvons trouver dans nos écritures ! Vraiment retenir ce texte que la Traduction oecuménique appelle « le débiteur impitoyable » pour accueillir un nouveau pasteur sur le consistoire c’est une faute de goût, mais peut-être, je l’espère du moins, n’est-ce pas une faute de gout impardonnable.
du coup si ce n’est pas impardonnable et que je vous en demande pardon, ma demande de pardon n’est qu’une formule creuse ; il ne s’agit pas d’un vrai pardon que j’appelle et dont j’ai besoin – c’est en quelque sorte une formule rhétorique. A la limite c’est une excuse que je vous présente mais pas un pardon que j’appelle. D’autant que pardon Hope de révéler que ce texte tu l’as choisi autant que moi dimanche dernier.
Bref, je ne vais pas passer mon temps à vous demander pardon, pour prêcher sur le pardon. D’autant que dans un entretien publié dans le Monde des débats à la fin du siècle passé, en 1999, le philosophe Jacques Derrida écrivait : « le pardon pardonne seulement l’impardonnable. On ne peut ou ne devrait pardonner, il n’y a de pardon, s’il y en a, que là où il y a de l’impardonnable. Autant dire que le pardon doit s’annoncer comme l’impossible même. »
Clin d’oeil personnel, j’aime beaucoup ce philosophe Jacques Derrida que j’ai découvert quand nous étions étudiants ensemble à Montpellier et que nous logions Bérengère, toi Hope, et moi au centre universitaire protestant dans les années 1995/96 ; ça ne nous rajeunit pas !
Pour Jacques Derrida, le pardon est impossible – le vrai pardon celui dans lequel il est question de vie et de mort, celui qui ouvre à la liberté, le pardon qui sauve, impossible ce pardon qui est force de résurrection.
Toutefois, « pardon », une fois encore, avant de faire de la philosophie, prenons le temps de relire le texte biblique que nous avons entendu :
I. La parabole
Jésus parle du pardon et donc il parle du royaume, du royaume des cieux – et comme souvent il parle du royaume des cieux avec une parabole.
Céline Rohmer, exégète spécialiste des paraboles de l’évangile selon Matthieu nous rappelle : « Les paraboles sont reconnues depuis longtemps pour leur capacité à toucher l’individu et à infléchir sa compréhension de Dieu. Associées à un désir de transmission et de formation, elles entretiennent un lien de type existentiel avec leur lecteur et possèdent un pouvoir attractif évident. La facilité d’accès de leurs images, la force persuasive de leurs courts récits sont encore très appréciées ».
Par conséquent, nous voilà avec une petite histoire pour transmettre un enseignement. Ici la petite histoire est celle d’un homme qui est un esclave, un serviteur. Une histoire en trois épisodes, en trois étapes.
D’abord, premier épisode cet homme est endetté auprès d’un maître de manière incalculable. Il lui doit 10.000 talents – c’est énorme ! C’est une somme qui s’approche des 40 millions d’euros. Il y a là quelque chose d’incroyable – d’impossible à réaliser.
Mais aussi c’est une dette impossible, et l’auditeur de Jésus ne peut que se demander pourquoi un maître aurait-il prêté une telle somme à son serviteur ? Cette dette est incalculable, incroyable, impossible, et elle ne pourra être remboursée.
Le point de départ de la petite histoire c’est donc un serviteur endetté de manière totalement folle auprès d’un maître et qui – premier épisode – obtient de sa part patience et pitié. Le maitre lui remet sa dette.
Sortant de cette entrevue le serviteur croise l’un des siens – deuxième épisode de cette histoire – il croise un de ses compagnons, un de ses semblables. Et celui-ci lui doit 100 pièces d’argent – presque rien par rapport à la dette que le maitre vient de lui remettre – un équivalent de 400 euros. Notons que l’évangéliste Matthieu insiste très fortement sur le contraste entre les deux sommes – il y a là une disproportion très importante entre les 10 000 talents et les 100 pièces d’argents.
A l’occasion de cette seconde dette de la parabole, le serviteur n’aura, lui, ni aucune pitié ni aucune patience pour son compagnon – vous l’avez entendu – celui-ci va être jeté en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé la somme ; chose tout à fait possible et réalisable.
Enfin arrive le troisième épisode – et avec lui le dénouement de l’histoire – le maitre qui dans sa patience avait remis sa dette au serviteur est informé de son comportement vis à vis de son débiteur. Il entre dans la colère et livre le serviteur aux tortionnaires jusqu’à ce qu’il rembourse sa dette, jusqu’à toujours – puisque cette dette n’est pas remboursable.
Voilà cette petite histoire qui illustre l’enseignement de Jésus sur le pardon invitant à pardonner jusque’à soixante dix-sept fois sept fois.
II- La logique de l’impossible :
Le pardon est impossible – le vrai pardon celui dans lequel il est question de vie et de mort, celui qui ouvre à la liberté, le pardon qui sauve, impossible ce pardon qui est force de résurrection.
Cette parabole, illustration de l’enseignement du Christ Jésus il nous faut l’entendre pour nous aujourd’hui comme une invitation non pas à renoncer au pardon qui serait impossible, mais bien plus comme une invitation à entrer dans ce que nous pouvons appeler une logique de l’impossible.
En effet, ce texte fait le lien entre le pardon que nous recevons de Dieu – un pardon totalement fou à 10 000 talents et le pardon que nous nous accordons entre nous – un pardon à 100 pièces d’argent. Cette histoire met en parallèle le pardon de Dieu et le pardon entre frères et soeurs – tout en en soulignant la disproportion.
Le pardon est impossible de sorte que nous pouvons nous souvenir que quelques versets plus loin à ses disciples qui demandaient : Qui donc peut être sauvé ? Fixant sur eux son regard, Jésus répondra: « aux hommes c’est impossible, mais à Dieu tout est possible » (Mat. 19, 26)
Précisons, d’ailleurs, que dire que le pardon est impossible ne veut pas dire que le pardon n’existe pas. L’histoire de Joseph pardonnant à ses frères leur crime et leur tentative de meurtre à la fin du livre de la Genèse en est une illustration : « vous avez voulu me faire du mal, Dieu a voulu en faire du bien » . Plaçant la source du pardon en Dieu, nous réalisons que l’impossible de nos vies n’est pas la limite du possible de Dieu.
Quand nous mettons en parallèle le pardon de Dieu sur nos vies et le pardon que nous avons à vivre entre nous, entre soeurs et frères, entre humains, quand nous disons avec le Notre Père : « pardonne nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés », oui nous plaçons la source du pardon en Dieu. Ainsi, l’impossible de nos vies n’est pas la limite du possible de Dieu, où inversement le possible de Dieu fait exploser les limites de l’impossible de nos vies.
Quand le Christ Jésus nous invite à pardonner 77 fois 7 fois il ne nous invite pas à tenir une comptabilité stricte de nos pardons dont il faudrait faire le bilan à la 539eme fois. Non il n’y a pas notre Dieu ne tient pas le classeur Excel de nos petites culpabilités. Oui, le possible de Dieu fait exploser les limites de l’impossible de nos vies : sortir d’une logique du faire pour plaire afin de recevoir le don total. Sortir de la petite morale de nos comportements pour entendre une parole de vie.
Dans ce sens nous pouvons nous souvenir que Saint Augustin commentant ce texte de l’évangile selon Matthieu écrivait : « il est dit au sujet du pardon : un mendiant te demande l’aumône, et tu es toi-même le mendiant de Dieu. En effet, nous sommes tous, lorsque nous le prions, les mendiants de Dieu. »
III. Témoignage & prière :
Derrida disait que le « pardon doit s’annoncer comme l’impossible même. » Alors oui, je crois qu’en église – et j’emploie ce mot dans son sens le plus large- en église nous avons a être les témoins de l’impossible de Dieu dans nos vies et dans le monde. C’est la la bonne nouvelle. La vie est plus forte que la mort.
L’enseignement sur le pardon du Christ Jésus dans l’évangile selon Matthieu nous invite à nous reconnaître comme mendiants de Dieu et, en tant que tels, à être témoins de l’impossible de Dieu. Malgré les accents philosophiques qu’a pu prendre mon propos depuis le début de cette prédication c’est je crois quelque chose de très pratique à vivre dans notre ministère commun de croyant, pasteurs ou non-pasteurs.
S’ouvrir à l’impossible de Dieu, sortir de la logique du faire pour plaire, ne pas être dans une comptabilité du pardon, se reconnaitre comme les mendiants de Dieu ; l’église communauté des croyants est une communauté de femmes et d’hommes endettés les uns vis à vis des autres, et tous ensemble vis à vis de Dieu. Les ministres ne sont pas mis à part dans cet endettement. Comme tout croyants, nous ne sommes pas dans la possession d’un évangile qui, je ne sais, fonderait notre morale ou autre, et qui nous mettrait à part du monde ; mais ensemble, en communauté, nous avons à être dans le monde les témoins d’une bonne nouvelle qui nous invite à nous reconnaitre dans la dépendance. Sacerdoce universel des mendiants de Dieu.
Vous comprenez qu’il ne s’agit pas de cultiver la fragilité pour le plaisir de la lamentation, ou dans une humilité bien réformée ; mais bien plus de laisser à Dieu la place qui lui revient, pour que dans les possibles de nos vies son impossible jaillisse comme une force de vie, un élan de résurrection, une source d’éternité : « là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté ».
S’ouvrir à l’impossible de Dieu c’est, finalement, et je m’arrêterai là, s’ouvrir à l’impossible de Dieu c’est ouvrir la porte à la prière ; prière par laquelle nous remettons nos vies entre les mains du Père, toute notre vie dans leurs lumières et dans leurs ombres, prière par laquelle nous touchons à la source de la confiance et de l’espérance malgré tout, prière par laquelle nous plaçons nos vies coram deo, devant Dieu.
Dans la communion de Caulmont dont je suis aujourd’hui le prieur nous disons de la prière qu’elle « est source d’amour, le souffle de ta vie, (elle) te recentre sans cesse sur Jésus le Christ, qui te projette vers Dieu, vers les femmes et les hommes, et vers l’ensemble du vivant » (Le Sillon de Caulmont)
Alors, oui, et sans vous en demander pardon, pour faire place à Dieu et entrer dans sa logique de l’impossible, je vous invite à la prière :
Ô Eternel, nous t’en prions garde nos coeurs en ta présence.
Nous sommes les mendiants de ta confiance :
Tu donnes à chacun ce dont il a besoin :
Tu mets ta richesse au secours de notre pauvreté,
Ta bonté au secours de nos douleurs,
Ton amour au secours de nos manques de joie,
Ton éternité au secours de nos pauvres vies.
Oui les possibles de nos vies ne sont pas les limites de ta grâce :
Tu peux faire toutes choses nouvelles !
Nous te confions cette église locale de Tence,
son conseil presbytéral et son nouveau pasteur Hope Nenonene,
Qu’en communauté et en communion les uns avec les autres,
ils portent ta bonne nouvelle de vie et de liberté, pour ta seule gloire. C’est vrai