Méditation du 27 juillet : office chez les diaconesses de Reuilly au Moutier St Voy

« Dieu nul ne l’a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour, en nous est accompli »

1ère lettre de Jean, chap. 4

Cette parole de la première lettre de Jean a une telle force que nous pouvons l’entendre et la réentendre chaque fois à nouveau. Je voudrai m’arrêter d’abord sur le cri de foi. Un cri de foi paradoxal ou à tout le moins inattendu. « Dieu nul ne l’a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour, en nous est accompli ». Voilà le paradoxe : le cri de foi se conjugue avec une expression tissée au plus près de l’athéisme – ne jamais avoir vu Dieu. 

Croire ce n’est pas savoir. Connaitre Dieu n’est pas pouvoir en tracer une représentation. « Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu » disait le ressuscité. Une foi d’aveugle qui n’est pas une foi obscurantiste, mais une foi responsable et libre. 

« Une foi aveugle ». Pour entendre cela je vous propose d’abord de passer par le détour d’une parabole issue de la tradition hindoue. La parabole des aveugles et de l’éléphant que peut être vous connaissez. 

Voilà ce que dit cette parabole : 

Il y avait autrefois six hommes aveugles qui vivaient aux abords d’un petit village de Bénarés. Un jour, ils entendirent les villageois et les enfants qui disaient : « Hé ! il y a un éléphant dans le village aujourd’hui.»  Les aveugles n’avaient aucune idée de ce que pouvait être un éléphant. Ils en discutèrent entre eux et décidèrent : « Même si nous ne sommes pas en mesure de le voir, nous pouvons y aller et nous avons de toute façon nos autres sens aussi bien pour l’observer que pour le découvrir. »

Tous allèrent donc là où était l’éléphant et chacun d’eux s’en approcha pour le sentir et le toucher. Perdant pied, le premier alla buter contre son robuste et large flanc. Il s’exclama aussitôt : « L’éléphant est un mur immense, tiède et un peu rugueux. »Tout en palpant une de ses défenses le second s’écria : « Je sens quelque chose de rond, de lisse, qui est long et pointu… Il ne fait aucun doute que cet éléphant extraordinaire ressemble beaucoup à une lance ! » Le troisième s’avança vers l’éléphant et, saisissant par hasard la trompe qui se tortillait, cria sans hésitation : « Oh, je vois que l’éléphant est certainement une espèce de gros serpent ! » Le quatrième, de sa main hésitante, se mit à palper le genou et la jambe. « De toute évidence, cet animal fabuleux ressemble à un arbre, j’en touche ici le tronc ! » Le cinquième qui se tenait bien droit, les bras tendus et en l’air, lui toucha l’oreille et dit : « Même le plus aveugle des hommes peut dire à quoi ressemble un éléphant ; nul ne pourra me prouver le contraire, ce magnifique éléphant est un grand éventail ! » Oh non ! dit le sixième qui commençait tout juste à vouloir tâter l’animal, la queue qui se balançait calmement lui tomba dans la main. « Je vois que l’éléphant n’est finalement rien d’autre qu’une corde ! »

Ils commencèrent alors à se disputer sur ce qu’était l’éléphant et chacun d’eux pensait avoir raison.

Parabole des aveugles et de l’elephant

« Dieu nul ne l’a jamais contemplé » – comme un éléphant pour des aveugles – aucun de nous n’a jamais vu Dieu. 

« Nul n’a jamais vu Dieu » dit la foi non comme une contemplation de la divinité mais comme une parole qui rencontre la femme et l’homme. Dieu demeure en nous. Et dans cette habitation de Dieu en nous se dit quelque chose d’une parole qui nous habite et qu’il faut comprendre, qu’il faut saisir, en un mot qu’il faut rencontrer. 

Aussi, à la suite du ministère du Fils comme sauveur du monde auquel tient fortement la première lettre de Jean, affirmer que «nul n’a jamais vu Dieu » est paradoxal. Dans la tradition Johannique de manière très forte le Fils est manifestation du Père, le Christ est révélation de Dieu, Jésus rend visible le divin. Tout dans l’évangile tisse la notion de témoignage : « Personne n’a jamais vu Dieu, Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père nous l’a dévoilé » (Jean 1) disait le prologue de l’évangile à Jean. 

« Nul n’a jamais vu Dieu » dit la foi non comme une contemplation de la divinité mais comme une parole qui rencontre la femme et l’homme. Dieu demeure en nous. Et dans cette habitation de Dieu en nous se dit quelque chose d’une parole qui nous habite et qu’il faut comprendre, qu’il faut saisir, en un mot qu’il faut rencontrer. Alors, faut-il le reconnaitre, nous sommes comme les aveugles du village de Bénarès ; nous ne pouvons tout rencontrer de Dieu. Mais ce qui nous touche, ce par quoi il nous touche c’est son amour – son projet pour le monde. Dieu nous a aimé le premier. C’est par son amour qu’il vient à nous. 

Ainsi j’aime l’extrait de la règle de Reuilly – Foi et vision :


Nous sommes nées d’une promesse :je t’ai vue.

Nous marchons vers une promesse :tu me verras.

Sans l’avoir vu vous l’aimez…

Règle de reuilly

Sans l’avoir vu nous l’aimons – comme des aveugles. 

Dans la parabole hindoue, un aveugle touche la trompe, un autre le genou, un autre encore le flan – la différence entre l’éléphant et Dieu c’est que l’éléphant se laisse simplement toucher de manière passive, alors que Dieu est acteur de la rencontre. Oui, il vient à nous par son amour, Dieu veut nous rencontrer. Il nous a vu Dans son amour, il a un projet pour chacune de nos vies. 

« Nul n’a jamais vu Dieu » dit la foi non comme une contemplation de la divinité mais comme une parole qui rencontre la femme et l’homme. Dieu demeure en nous. Et dans cette habitation de Dieu en nous se dit quelque chose d’une parole qui nous habite et qu’il faut comprendre, qu’il faut saisir, en un mot qu’il faut rencontrer. 

Nous pouvons alors nous souvenir de ce qu’écrivait Christian Bobin sur le cheminement de foi des premiers croyants, des apôtres et des auteurs du nouveau testament :

« Je ne me lasse pas de cet air abruti que gardent les apôtres devant « le camarde sans ombre ». Il leur a fallu trente ans et plus pour écrire et comprendre. Il leur a fallu plus qu’une résurrection – et ce n’est pas rien ; les langues de feu et les déluges de lumière. Et même après cela, il faut compter trente ou quarante ans pour que la rencontre s’écrive et ce n’est qu’en s’écrivant qu’elle a eu lieu. Être là en même temps, sur les mêmes chemins, n’était pas suffisant ; la rencontre se fait par la parole, dans la parole, est une parole ». 

CHRISTIAN BOBIN

Dieu demeure en nous, la rencontre se fait par la parole. La foi n’est pas ici contemplation, mais accomplissement de l’amour de Dieu en nous, presque malgré nous. « Nous aimons parce que lui nous a aimé le premier » (v. 19) Dieu vient à notre rencontre et tisse par sa parole un appel à la foi, à la confiance sans crainte. Face à Dieu nous sommes comme les aveugles devant un éléphant et même pire que ça puisqu’il y aura toujours une part d’inconnue en Dieu.

Pour faire un dernier pas, un pas de plus, à travers ces mots de rencontre, de parole, d’une habitation de Dieu en nous, nous pouvons entendre comme un appel à la responsabilité. Cette interprétation n’est pas récente. Lors de l’octave pascal de 407, Augustin d’Hippone a prêché sur ce texte. Il commente les  v. 8 et 9 que nous avons entendu « Voici comment s’est manifesté l’amour de le Dieu au milieu de nous :i Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui ». 

Augustin insiste fortement sur l’importance de l’intention pour juger de la valeur d’une action. Il arrive au père de famille de frapper son enfant – méthode éducative de l’époque ! – mais c’est pour son bien, tout comme il arrive au marchand d’esclave de cajoler celui qu’il s’apprête à vendre. Augustin conclut son raisonnement avec une formule qui est devenue un adage :

« Ainsi voilà une fois pour toutes le court précepte qu’on te dicte : « Aime et fais ce que tu veux ». Si tu te tais, tu te tais par amour ; si tu cries, tu cries par amour ; si tu corriges, tu corriges par amour ; si tu épargnes, tu épargnes par amour. Qu’au-dedans se trouve la racine de la charité. De cette racine rien ne peut sortir que de bon. » 

SAINT AUGUSTIN

Etre responsable de ses actes, et enraciner cette responsabilité à l’amour. « Aime et fais ce que tu veux » . Il ne s’agit pas pour le père de l’église de prôner un quelconque « carpe diem » très en vogue aujourd’hui. Mais bien de vivre dans le monde, et par l’amour ; de vivre par le christ. Etre responsable de la bonne nouvelle de l’amour, en répondre, y fonder sa vie et sa parole. Dans la tradition Johannique, l’amour est le plein accomplissement du commandement de Dieu. Etre responsable du geste même de Dieu qui, venant vers nous, a renouvelé nos vies pour les ouvrir à la liberté. 

Dans le sillon de Caulmont nous disons souvent :

« en tous temps et en tous lieux, sois accueillant et attentif à chacune, chacun et à toutes choses ; Dieu y a sa demeure ». 

SILLON DE CAULMONT

Aveugles devant Dieu, nous pouvons être touchés par son amour pour nous ouvrir à la rencontre et à la circulation de la parole. « Aime et fais ce que tu veux ». Enracinons nos vies dans l’amour pour être témoins de la liberté de l’évangile. Le repas du Seigneur que nous allons maintenant partager est symbole de cette incorporation de la parole, signe du projet de Dieu de demeurer en nous, au plus corporel de la formule. A travers le pain et le fruit de la vigne que nous ingérons se dit l’accomplissement en nous de l’amour et du don total du Fils. Nous appelant, oui, à être responsable du geste même de Dieu qui, venant vers nous, a renouvelé nos vies pour les ouvrir à la liberté. 

« Dieu nul ne l’a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour, en nous est accompli »

Au Christ seul soit la gloire, c’est vrai. 

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